En ce 1er décembre, journée mondiale de lutte contre le sida, le co-fondateur d’Act Up-Paris regrette un désintérêt et un manque d’information autour de la maladie.
VIH - Pionnier de la lutte contre le sida, Didier Lestrade a co-fondé Act-Up Paris en 1989, pour « faire pression sur les pouvoirs publics et les laboratoires pharmaceutiques ». Dans Act-Up, une histoire, initialement paru en 2000 et aujourd’hui réédité aux éditions La Découverte, le journaliste relate des années de militantisme, marquées par des actions mémorables, comme la mise en place d’un préservatif géant sur l’obélisque de la place de la Concorde, le 1er décembre 1993. S’il n’a pas échappé à la controverse, à 64 ans, cette figure majeure du militantisme LGBT+ est l’un des derniers gardiens de la mémoire de la lutte contre le sida. Il regrette aujourd’hui un désintérêt chez les jeunes au sujet de la maladie - « la jeunesse considère que c’est un problème de vieux » - et se dit préoccupé par le fait que « la mémoire du VIH se perde ».
Le HuffPost : Comment expliquez-vous que, comme vous le dites, « la mémoire du VIH se perde » ?
Didier Lestrade : Je crois que c’est ce qu’il se passe après chaque guerre. La lutte contre le sida a été un réel conflit associatif et militant dans la communauté LGBT et à l’extérieur. Quand il y a un tel combat, souvent, les gens veulent passer à autre chose. Les jeunes ne savent pas ce qu’on a connu. Ça ne les intéresse pas car l’information n’est pas disponible. Dans d’autres pays Européens, il y a des centres de culture LGBT où il est possible de s’informer, de chercher des documents ou d’assister à des conférences et à des échanges. C’est quelque chose de fort culturellement. Ce n’est pas le cas en France. En tant que militant, je possède des archives et une collection vraiment unique mais je ne sais pas à qui la donner si je meurs. Ça fait des décennies que les personnes séropositives disparaissent et, avec elles, un passé, une expérience, des objets, des livres et des documents. Tout ce qui touche au mémoriel est fondamental. Je ne comprends pas pourquoi en France, la Mairie de Paris ou le Ministère de la Culture ne s’intéressent pas à ce sujet.
Vous insistez sur l’importance d’évoquer son statut sérologique. Pourquoi ?
La façon d’apprendre sa séropositivité et de la gérer est importante, encore aujourd’hui. Ce n’est pas parce que le VIH est une maladie chronique, qu’il ne faut pas l’aborder. Pour moi, c’est fondamental d’en parler avec sa famille.
Je pense que si ma santé a été bonne, c’est parce que je n’avais pas ce stress de cacher quelque chose. Les familles ont le droit de savoir, surtout les parents. Souvent, ils veulent aider et quand on le dit quelques années après, la première question est « pourquoi tu ne me l’avais pas dit plus tôt ». Il faut les incorporer, sans non plus se faire manger, et leur donner le temps d’évoluer sur le sujet et de l’absorber. Souvent, ça resserre les liens, surtout dans les familles des personnes LGBT.
Malgré les avancées thérapeutiques et le fait que le VIH soit aujourd’hui considéré comme une maladie chronique, existe-t-il encore de la sérophobie ?
La sérophobie a beaucoup évolué. Dans les années 90, les gens étaient réellement effrayés. Aujourd’hui, cela s’applique moins. Sur certaines applications de drague, par exemple, les personnes séropositives le disent et peuvent indiquer qu’elles sont « indétectables ». Je ne peux pas dire que ce soit aussi simple au travail ou dans les communautés rurales. Il ne faut pas croire que les gens réagissent toujours de manière positive. Et comme il y a moins d’informations sur le VIH, les gens recommencent à penser des choses complètement idiotes, comme la possible contamination avec un baiser ou une piqûre de moustique. Ce type de croyances commencent à remonter. Si on ne continue pas à informer, les vieilles méfiances à l’égard de personnes séropositives vont réapparaître. Le fait que cette épidémie soit oubliée génère ce type de problèmes. La sérophobie se nourrit du manque d’éducation, du manque de visibilité et du désintérêt de la société. Et puis, les gens oublient aussi les fondamentaux de la prévention.
Justement, craignez-vous que ce manque d’information entraîne une recrudescence des IST, notamment chez les jeunes ?
La Prep protège les personnes séronégatives du VIH mais pas des IST. Plus on a une activité sexuelle importante, plus il est essentiel de se faire dépister, tous les trois à six mois. Chez les filles, par exemple, les chlamydiæ sont un problème important au lycée ou à la fac. Les taux de transmission restent élevés. L’éducation sexuelle ne devrait pas se faire uniquement sur le danger mais aussi sur le dépistage rapide qui permet de traiter une IST rapidement.
Vous êtes séropositif depuis les années 80, vous avez désormais 64 ans et des années de traitements derrière vous. Comment vieillit-on avec le VIH ?
Les traitements sont efficaces et l’important pour les médecins et la recherche est qu’on aille bien. Il ne faut cependant pas oublier que pour les personnes de ma génération, la succession de médicaments pas très efficaces, voire toxiques, a entraîné des effets secondaires importants comme la perte de poids, ainsi que les problèmes d’os et d’ostéonécrose. On a aussi de gros problèmes au niveau dentaire : on perd nos dents parce que notre métabolisme a changé et absolument rien n’est fait pour essayer d’aider les personnes, qui, comme moi, n’arrivent pas à subvenir à leurs besoins à ce niveau. L’autre problème est la solitude. Même si tout va mieux, pour notre génération contaminée dans les années 80 et 90, ce phénomène est d’autant plus important qu’on réfléchit à la fin de vie. Actuellement, les Ehpad ne sont pas formés à l’arrivée d’une génération de personnes LGBT, qui ont une culture, un vécu différent. Il commence à y avoir des structures, avec des appartements communautaires, mais ce n’est pas développé.
Vous semblez globalement assez pessimiste sur la prévention et la mémoire du sida. Y a-t-il quelque chose qui vous rend optimiste pour le futur ?
Je suis optimiste sur le traitement du VIH mais pessimiste sur l’accès à ces traitements dans les pays en voie de développement.Mais je suis surtout déçu par le manque d’intérêt des moins de 30 ans pour le travail des personnes de ma génération, qui a été fondamental. Je ne vois pas d’échanges intergénérationnels. Nous, les vieux, on n’a pas notre place.


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