Ce samedi 5 novembre, dans le cadre de la Coupe du monde de rugby, les Bleues affrontent les Black Ferns. Si aujourd’hui ce sport est reconnu, pour les pionnières le chemin a été long.
RUGBY - Le 12 novembre prochain s’achèvera la Coupe du monde de rugby féminin. En attendant cette ultime confrontation, ce samedi 5 novembre, le XV de France féminin affronte (à 7h30) la Nouvelle-Zélande en demi-finale à l’Eden Park d’Auckland.
Si aujourd’hui on ne s’étonne plus de voir des femmes pratiquer ce sport né en 1823 en Angleterre, jusque dans les années 70, les joueuses évoluaient dans l’illégalité. Dans Combattantes, une BD illustrée par Sophie Bouxom parue aux éditions Actes Sud en octobre dernier, Isabelle Collombat retrace la longue et mouvementée histoire de la discipline.
Le HuffPost : Quelle est la genèse de l’écriture de votre BD Combattantes ?
Isabelle Collombat : Je suis journaliste de formation et aujourd’hui essentiellement autrice de littérature jeunesse. Lorsque mon éditeur Allemand - qui pensait que le rugby était un sport français - m’a demandé d’écrire un texte sur le rugby, je lui ai dit que je préférais m’intéresser particulièrement aux femmes qui pratiquent ce sport. À ce moment-là, je ne savais pas que la France était une grande nation de rugby féminin. Lors de mes recherches, je me suis rendu compte qu’il y avait une histoire qui n’avait jamais été racontée au grand public : l’histoire des rugbywomen qui croise sport, féminisme et politique. J’ai eu un coup de foudre pour les femmes qui ont continué à le pratiquer malgré les obstacles jusqu’à en faire une discipline dans laquelle la France excelle. Avec ce livre, j’ai eu envie de raconter cette histoire - qui dépasse le cadre sportif - aux adolescents et aux adultes curieux.

Justement, dans quelle mesure, l’histoire du rugby féminin dépasse-t-elle le cadre sportif ? 
Ce que je découvre en m’intéressant au rugby féminin, c’est qu’en 1972, alors que les femmes commencent à pratiquer le rugby, on leur interdit. Il y a 50 ans, jour pour jour, le secrétaire d’État à la jeunesse et des sports, Marceau Crespin, écrit une lettre dans laquelle il indique que ce sport n’est pas fait pour les femmes et qu’elles n’ont pas à avoir accès aux installations sportives. C’est assez incroyable car ces années 70 coïncident avec la libération des femmes. À partir de ce moment-là, les joueuses n’ont pas le choix : elles entrent d’une certaine façon dans la clandestinité et se débrouillent pour pratiquer. Quand on parle de clandestinité, il ne s’agit pas d’une formule. Les maires vont dire aux femmes qui ont constitué des clubs qu’ils ne peuvent pas leur prêter de terrains, par exemple. Certains arbitres vont aussi ne plus les arbitrer de peur de ne plus pouvoir avancer dans leur carrière. Elles vont devoir parcourir des kilomètres pour pouvoir jouer au rugby, parfois dans des champs, sans vestiaires. Aujourd’hui, cela paraît incroyable.
Était-ce spécifique au rugby ? 
Oui. Dans le football, par exemple, les femmes ont été intégrées à la fédération dès 1970 alors que pour le rugby, après l’interdiction de 1972, il va y avoir 10 ans de clandestinité. C’est le président des Violettes Bressanes, Henri Fléchon, qui va aider les femmes. C’est un personnage oublié de l’histoire du rugby féminin, pourtant il va participer à la reconnaissance de ce sport. Il va notamment tenter de convaincre Albert Ferrasse, le président de la Fédération française de rugby (FFR), qui ne veut pas du tout en entendre parler. Il va réussir à le convaincre en 1982. Le rugby féminin ne sera pas intégré à la FFR à ce moment-là, mais ça sera la fin de l’illégalité, ce qui implique qu’elles pourront, notamment, avoir des arbitres pour les matchs.
Les joueuses d’équipes championnes telles que la Nouvelle-Zélande ou l’Angleterre ont-elles elles aussi rencontré de telles difficultés ? 
Partout les femmes ont dû lutter contre les préjugés. En Angleterre, elles vont lutter contre le règlement qui stipule que le rugby est un sport d’hommes. En Nouvelle-Zélande, bien que ce sport fasse partie de la vie quotidienne, elles ont aussi lutté. Se revendiquer « Black » a été un combat. Elles ne sont autorisées à prendre le nom Black Ferns qu’en 1998, comme il a fallu du temps aux Bleues pour qu’elles aient le coq sur leurs maillots. Je pense que dans tous ces pays, les femmes ont dû se battre de la même façon. Ce qui a beaucoup changé les choses, c’est quand le rugby à VII est devenu un sport Olympique. Pour qu’il le devienne, il fallait qu’il y ait une pratique masculine et une féminine. Tout à coup, le rugby féminin est devenu intéressant : si on voulait être une Nation de rugby, il fallait avoir une équipe féminine. C’est donc le rugby à VII qui a amené le Fédération Française de Rugby à signer des contrats professionnels à des joueuses, en 2014. Les Françaises du XV ont signé leurs premiers contrats avec la FFR à partir de 2017. C’est une histoire très récente qui est en train de se faire.
Comment le rugby féminin est-il perçu aujourd’hui ? 
En France, le rugby féminin a une grande place, si elles gagnent. Quand elles perdent, c’est plus compliqué. Il faut qu’elles soient les meilleures, toujours au top pour exister. C’est ce qui explique que le combat n’est pas fini. On voit cependant que le rugby gagne du terrain, surtout en banlieue. C’est un sport qui permet aux filles d’avoir confiance en elles et qui répond au besoin de s’affirmer. Les joueuses deviennent d’ailleurs des modèles, des exemples à suivre de filles qui n’ont pas peur. Elles sont d’ailleurs des exemples pour beaucoup de femmes, pas que pour les plus jeunes, car dans l’équipe de France, elles sont sur plusieurs fronts. Manae Feleu, par exemple, poursuit des études de médecine tout en pratiquant un sport de haut niveau. D’autres sont aides soignantes. C’est assez incroyable. C’est aussi cela qui est intéressant avec le rugby féminin. Même si elles vont vers la professionnalisation, ce sont des femmes qui ont un « double projet » : elles sont joueuses mais elles doivent aussi préparer l’après.
Le rugby féminin est aujourd’hui assez reconnu en France avec de véritables championnes qui affrontent l’équipe de Nouvelle-Zélande en demi-finale, ce week-end. Est-ce que pour autant des disparités persistent ? 
En effet. Aujourd’hui, on aime le rugby féminin parce que c’est lui qui fait venir de nouvelles licences à la fédération. De plus en plus de filles s’inscrivent. La couverture médiatique est aussi assez récente. Ce n’est qu’en 2012 que France 4 a décidé de retransmettre un match. Là, TF1 a décidé de diffuser les matchs car il y avait un package : s’ils voulaient avoir les droits pour la Coupe du Monde de 2023, il fallait qu’ils prennent aussi les filles. Il reste aussi des différences de salaires, au moins du simple au double. Mais au final, ce n’est pas au niveau de l’argent, ni des conditions qu’on ressent la différence, mais au niveau de l’encadrement. Bien qu’Annick Hayraud soit la manager du XV de France, les entraîneurs sont toujours des hommes parce que c’est devenu prestigieux d’entraîner l’équipe. Dans les années 80, quand on voulait punir un homme, on l’envoyait entraîner les filles. Maintenant que c’est valorisant, il n’y a pas de femmes.
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