Il ne reste que quelques jours pour contempler Liberty, une œuvre conçue par Valérie Belin pour le parfumeur Guerlain. La photographie visible au rez-de-chaussée de la boutique située sur les Champs-Élysées est présentée dans le cadre de « Les femmes vues par les femmes : Révélation », une exposition réalisée en partenariat avec Jean-Luc Monterosso, directeur de la Maison Européenne de la Photographie. Rencontre avec la photographe.

Pourquoi avez-vous intitulé cette photographie Liberty ?
Valérie Belin : J’ai intitulé cette œuvre Liberty car d’une part c’est le nom de l’Art Nouveau en Angleterre, mais aussi parce que ça évoque la liberté et notamment le tableau de Delacroix, La liberté guidant le peuple. Cette mannequin visible sur la photographie exposée chez Guerlain adopte une posture assez volontaire : elle va de l’avant, ce qui m’a donc fait penser au célèbre tableau. De plus, La liberté guidant le peuple de Delacroix a le même statut que le mannequin qui est l’incarnation d’une icône. Elle s’est vidée de son sens à force d’être reproduite, dupliquée, vulgarisée, un peu comme la peinture de Delacroix qui a été reprise pour X utilisations et qui a perdu de son sens dans ce galvaudage. C’est aussi la revendication d’un message de liberté de la femme.

 Comment l’avez-vous pensée ?
V.B : Je me suis basée sur le thème « Les femmes vues par les femmes » que j’ai décomposé en « femmes vues, vues par les femmes ». Il y avait à la fois l’aspect de la femme vue, c’est-à-dire la femme qui est une femme-objet, une femme-image qu’on observe et qui fascine. Le « vues par les femmes » est l’autre versant, le point de vu du psychisme de la femme et ce qu’elle pense. L’objet mannequin s’est une nouvelle fois imposé à moi, car c’est quelque chose qui revient très régulièrement dans mon travail et parce qu’il s’agit d’un stéréotype de la beauté féminine actuelle et occidentale. J’ai voulu mettre dans une sorte de trouble ce stéréotype de manière à le déconstruire, à le complexifier et à lui enlever son pouvoir de stéréotype. Pour ce faire, j’ai choisi une mannequin pas très réaliste, séduisante et effrayante. J’ai particulièrement aimé son style Art Nouveau évoquant Guerlain. Je l’ai mélangée avec une composition florale et puis, de manière à perturber cet ensemble, j’ai introduit une couverture de comics représentant une scène de crime. ll ajoute un effet de salissure dans l’image tout en évoquant le psychisme de la mannequin tourmentée par des pensées sombres. C’est l’élément masculin de cette image.
 Sur cette image, on aperçoit donc un mannequin mais aussi un comics et des fleurs superposées. Comment l’avez-vous techniquement élaborée ?
V.B : J’ai fait comme je fais avec mes œuvres depuis quelques années. Je commence par des prises de vues en studio que je mélange ensuite avec Photoshop en postproduction. Il y a un beaucoup d’incrustations des images entre elles. Il y a également un gros travail sur la couleur de l’image. Entre les fleurs, le mannequin et le comics, j’avais une espèce de cacophonie colorée qui s’installait. J’ai donc dû neutraliser les couleurs réalistes du bouquet et le trop-plein de couleurs. Il a fallu aussi trouver une sorte de ton local, de chromie simplifiée. J’ai opté pour le rose évoquant Guerlain et quelque chose de féminin et de pop. Après, il y a une savante cuisine pour faire apparaitre plus ou moins fort des zones de l’image et un travail sur la texture. J’ai solarisé le bouquet de manière à ce qu’on ait plus trop la texture des fleurs mais plutôt des aplats colorés qui déplacent la photographie du côté de la peinture.
Une nouvelle fois, le mannequin revient donc dans votre œuvre. Pourquoi ce choix ?
V.B : La mannequin est la représentation de la beauté féminine du diktat d’aujourd’hui, à savoir la beauté d’une femme filiforme et blanche. C’était intéressant de reprendre cet aspect car je travaille beaucoup sur les stéréotypes que je m’attache à déconstruire. En 2003, par exemple, j’ai réalisé une série en noir et blanc intitulée Mannequin. J’avais choisi une marque de mannequin hyper réaliste qui donnait l’illusion de la vie. Quand on regardait les photographies, à une certaine distance, on avait la sensation d’avoir affaire à la photo d’une vraie femme. Puis, quand on s’approchait, on voyait par l’hyperréalisme de la photographie que tout était peint (sourcil, maquillage des yeux…) et tout ce faux nous apparaissait tout à coup. C’est là que la déconstruction du cliché s’opérait.

L’exposition se termine dans quelques jours. Quels sont vos projets ?
V.B : Je travaille sur une nouvelle série de portraits avec de vraies jeunes femmes, des mannequins que j’ai maquillées d’une manière spécifique. Pour l’occasion, j’ai fait appel à une artiste qui maquille les jeunes filles comme si elle les peignait. Cette série est un manifeste sur ce qu’est devenue la photographie aujourd’hui. Elle devrait être exposée en 2018. Pour l’instant, je n’ai pas de lieu ni de date précise, mais j’y travaille.
Le Monde de la Photo, 2017
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